Interview parue dans la revue Espoir de décembre 2023

Juliette Lemaire – Espoir : Il s’agit ici de votre premier ouvrage ? Pourriez-vous vous présenter et nous dire qui vous êtes ?

Guy Michel : Au lycée puis à l’université, mon métier d’enseignant-chercheur a été passionnant et riche d’échanges avec des jeunes mais aussi avec des adultes en formation. Au préalable, après le baccalauréat, j’ai choisi d’entrer à l’École Normale Supérieure de Cachan afin de pouvoir faire des études supérieures en étant rémunéré ; les sujétions matérielles nous mettent aussi sur de bonnes voies …
A mi-parcours de ma vie professionnelle, l’Université de Haute Alsace m’a demandé, en tant que directeur de l’IUT de Colmar, de prendre en charge le développement du pôle universitaire de cette ville. Cette expérience en partant d’une feuille (presque) blanche, entouré d’une équipe de femmes et d’hommes de grande qualité fût enrichissante et féconde sur le plan personnel.

Juliette Lemaire – Espoir : Sur la couverture de votre livre, il est écrit « L’aventure de la vie racontée à mes petits- enfants », est-ce pour eux que vous avez écrit ce livre ?

Guy Michel : Á 77 ans j’ai fait mienne cette phrase d’Annie Ernaux (Prix Nobel de Littérature 2022) « Écrire, c’est en somme donner de l’avenir au passé ». C’est effectivement pour laisser un message d’espoir et de responsabilité à mes petits-enfants que j’ai écrit, il y a quelques années, ces pages. Á l’origine, elles n’étaient pas destinées à être publiées. Je vis l’édition de ce livre et tout ce qui l’entoure comme une nouvelle expérience dans mon parcours.

« Écrire, c’est en somme donner de l’avenir au passé. »

Annie Ernaux (Prix Nobel de Littérature 2022)

Juliette Lemaire – Espoir : Pourriez-vous nous dire à qui s’adresse ce livre et quel message avez-vous souhaité transmettre en priorité ?

Guy Michel : Le livre s’adresse plus largement à tous ceux qui s’interrogent sur les conséquences inquiétantes de nos errements. Un regard lucide sur notre civilisation ne peut que nous interpeller. Le progrès que nous avions cru permanent nous a conforté dans l’idée que demain sera mieux qu’aujourd’hui et que nous pouvons nous dispenser de penser. C’est là, le premier acte de la faillite de la pensée. L’évolution positive que suggère le mot de progrès est cruellement démentie par les faits. La catastrophe écologique et les violences sociétales en témoignent.
Notre culture occidentale a été pétrie par la philosophie du siècle des Lumières. De la promesse d’un progrès généralisé matériel, spirituel et social, il ne reste que l’idée du bien-être matériel. Ainsi notre culture sacralise la propriété et la consommation et génère la crainte de perdre ce qu’on l’on a, d’où l’accentuation du sentiment de peur.
Si l’individu renonce à penser et si la société lui propose de le faire à sa place, l’humain anxieux perd la confiance en soi. Il est fragilisé, sa conscience d’être est menacée, il marche vers un esclavage sournois. Avec ce livre j’ai souhaité que le lecteur puisse reprendre confiance en lui.

Juliette Lemaire – Espoir : Le livre est présenté comme « un plaidoyer pour le respect de la vie », pouvez-vous préciser les fondements de ce concept ?

Guy Michel : En tant que docteur en philosophie, Albert Schweitzer a construit ce concept au début du siècle dernier de manière très argumentée. Bien qu’étant un homme de foi, il propose de rechercher le sens de la vie dans la relation que nous avons avec le monde. Il y relève que notre volonté de vivre constitue un fait élémentaire que nous ne pouvons nier, mais parallèlement nous découvrons dans toutes les réalités observées des volontés de vivre semblables à la nôtre. Il énonce alors cette phrase que je trouve sublime de simplicité et de profondeur « je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre ». Cette implacable réalité lui permettra de proposer que la finalité de la vie est dans la vie et non dans une connaissance ou une croyance, c’est le respect de toutes les formes de vie.
La recherche génétique de la fin du 20e siècle a confirmé que la finalité de tout organisme vivant est endogène, elle est dans la vie elle-même et ne peut s’accompagner que du respect de la vie.

Juliette Lemaire – Espoir : Vous citez beaucoup d’auteurs et de personnalités différentes, est ce qu’il y en a une qui vous a inspiré plus que les autres ? Pourquoi ?

Guy Michel : C’est Albert Schweitzer, Prix Nobel de la Paix, qui m’a inspiré tout au long de ce livre. Vers la fin de sa vie, le médecin connu pour avoir soigné les malades à Lambaréné, a considéré lui-même sa philosophie du respect de la vie comme son apport principal à l’humanité. Il a décliné cette éthique dans de nombreux concepts et dans des situations très concrètes de développement personnel, d’engagement et de luttes. Pour l’esprit elle se propose d’être le substrat de toute réflexion, tout discours, tout rêve.
Un autre Prix Nobel dans la même décennie, Albert Camus, a reconnu que la finalité de la vie est en elle : « Le sens de la vie supprimé, il reste encore la vie ». Ses écrits et surtout ses combats empreints du courage et de l’éthique qui l’animaient  témoignent de son respect de la vie et m’ont fortement guidé dans la rédaction de ce livre.

Juliette Lemaire – Espoir : Au regard des événements actuels, et sans entrer dans la polémique, ne pensez- vous pas que la peur distillée dans le monde soit difficile à « déloger » ?

Guy Michel : L’humain doit d’abord accepter que malgré l’affichage de sa prétendue toute-puissance, la vie est ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une aventure dans un monde fait d’horreur et de splendeur, de joie et de douleur. Si l’inquiétant écocide et les violences sociétales révèlent qu’il y a urgence à agir, l’humain doit d’abord lever l’hypothèque de la peur afin de redonner à son esprit sa liberté de penser. Les solutions ne surgiront pas spontanément, proposées par une quelconque puissance. La révolte camusienne qui refuse la prédation de la vie par la vie et ne renonce pas, désire un monde plus aimable. La métamorphose de la société dans laquelle la vie nourrit la vie est alors possible. L’individu pourra redonner du sens là où il est absent.
Après avoir révélé quatre attributs constitutifs de la vie biologique, le livre propose au lecteur des balises qui pourront lui redonner confiance et  le guider dans sa propre aventure, elles ont pour nom : l’action, la pensée, le partage, la solidarité, l’autonomie, le doute …

Juliette Lemaire – Espoir : Vous avez choisi de reverser les droits d’auteur à diverses associations agissant au profit de personnes en difficultés sociales et professionnelles, notamment l’association Espoir, quels valeurs ou messages avez-vous envie de faire passer avec ce geste ?

Guy Michel : Dès ma jeunesse, le sport et la vie associative m’ont permis d’apprécier la fraternité et l’engagement généreux d’un groupe. Le respect de la vie permet de mettre de la cohérence dans l’action et la pensée. La solidarité dont je parle dans le livre est celle qui existe de facto au sein du monde vivant, elle n’est pas un choix mais un constat. Par ailleurs, je vois le partage comme un échange qui enrichit tous les participants, contrairement à l’échange marchand. Je ne pouvais imaginer que l’édition de ce livre trahisse mes propos. Puissent-ils éclairer ceux qui ignorent cette richesse !

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