« L’économie est l’aménagement, en vue de l’avantage de chacun et de tous, des rapports humains par l’emploi de biens rares socialement » François Perroux
« Le développement de tout l’homme et de tous les hommes est une finalité qui devrait être unanimement acceptée par les responsables de la politique, de l’économie et de la recherche » François Perroux
« Le rôle économique minimum et fondamental de l’Etat […] est la préservation, dans des conditions historiques, de la vie et de la liberté de chaque être humain » François Perroux
“Pour l’homme, animal symbolisant, le prix n’est qu’un symbole entre d’autres du produit.” François Perroux
“En ce siècle où l’homme s’acharne à détruire d’innombrables formes vivantes, jamais sans doute il n’a été plus nécessaire de placer le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre.” Claude Lévi-Strauss
“C’est le rapport de l’homme à la propriété qui détermine et commande ses rapports aux choses et aux hommes” Jean Jaurès
L’origine grecque du mot économie : “oikonomia” , correspond à la gestion de la maison : un lieu de vie. D’un point de vue épistémologique, la science économique est alors chargée d’étudier les rapports humains nés des fonctions de transformation de ressources en produits ou services élaborés. A l’origine et jusqu’à une époque récente et encore dans une grande partie du monde, cette transformation avait simplement pour but de rendre possible la vie. Deux évolutions sociales ont éloigné la science économique de sa vocation première :
- nos cultures ont assigné à notre activité des objectifs bien plus larges que la simple lutte pour la survie,
- la finance avec le capital a pris une place prépondérante dans les structures économiques et a imposé ses codes et ses normes, d’où une confusion regrettable : l’économie est aujourd’hui souvent confondue avec la finance.
Enfermer les méthodes d’analyse économique dans l’univers quantitatif, restreindre l’activité économique aux seules opérations monétaires sont des errements qui ont conduit la science économique à une pensée simplificatrice fondée sur les vertus auto-équilibrantes du marché. L’activité économique a une dimension sociale et politique. La pensée économique ne peut s’auto-finaliser mais a besoin, pour être intelligible de faire appel à des concepts venus de la sociologie, de l’écologie, de l’histoire, voire de l’anthropologie ou de la psychologie.
Pour appréhender la réalité économique, les concepts de l’approche de la complexité sont particulièrement pertinents : refuser les déterminismes là où l’interdépendance est la règle, privilégier une démarche globale afin de saisir le sens du tout. Comprendre la complexité exige aussi d’accepter les oppositions et contradictions telles que conflit-coopération, avarice-générosité, raison-passion, empathie-égocentrisme. Parce que ces contradictions s’imposent dans la réalité sociale, la science économique doit les intégrer dans ses théories et les respecter dans ses prescriptions.
La science économique doit retrouver sa place dans la recherche ambitieuse du “développement de tout l’homme et de tous les hommes”.
Dès la fin des années 60, la problématique de la course à la croissance économique a été soulevée, notamment par le Club de Rome. La rareté des ressources transformées impose un questionnement : au niveau actuel de consommation des ressources naturelles, il faudrait 1,75 Terre pour subvenir aux besoins de l’humanité, le mode de consommation actuel ne peut se perpétuer et encore moins se généraliser à l’ensemble de la planète.
Mais le questionnement doit aller plus loin, en effet pour entretenir et développer la vie, l’activité économique utilise non seulement des ressources naturelles rares mais aussi des ressources vivantes, animales, végétales et humaines. Parce que la production d’un objet ou d’un service combine ces ressources naturelles et vivantes, on peut affirmer que dans chaque objet ou service il y a de la vie cristallisée : du temps humain (le travail), des ressources végétales ou animales. La consommation d’un produit ou d’un service conduit à sa destruction ; toute consommation est donc aussi destruction de vie. Cette réalité économique irréfutable est la traduction du constat anthropologique : entretenir une vie signifie toujours en faire disparaître une autre. Mais aujourd’hui le niveau de consommation est tel que nous détruisons trop de vie au risque de détruire la vie, il est indispensable de consommer moins pour détruire moins de vie.
L’économie capitaliste cherche à maximiser des indicateurs qui conduisent à détruire toujours plus de vie tant par ses processus de production que par l’usage des biens et services issus de cette production. La rationalité économique doit abandonner la maximisation d’une plus-value ou autre grandeur monétaire pour une équation que François Perroux avait posé en son temps : pour toute activité économique, la couverture des coûts de l’Homme (1) doit être supérieure aux coûts humains (directs et indirects) du travail. La conscience qu’il est “nécessaire de placer la vie avant l’homme” conduit à exprimer la rationalité économique en ces termes : toute activité économique doit engendrer une consolidation de la vie supérieure à la consommation de vies.
Une pensée économique ainsi renouvelée a alors toute sa place dans les sciences humaines et peut nous guider dans nos choix quotidien comme dans l’orientation à donner au système global de consommation-production.
(1) ce qui empêche les êtres humains de mourir, ce qui permet à tous les êtres humains une vie physique et mentale minimale et ce qui autorise à tous les êtres humains une vie spécifiquement humaine.