« Lorsque vous tracerez mon portrait, que ce ne soit pas sous la figure du Docteur qui soigne les malades. C’est ma philosophie du Respect de la Vie que je considère comme mon apport principal à l’humanité. » Le souhait exprimé par Albert Schweitzer m’a conforté dans mon désir de laisser un message à mes petits-enfants afin de leur présenter l’éthique proposée par ce grand humaniste.
L’évocation des circonstances dans lesquelles le concept de Respect de la Vie lui est apparu sur les bords de l’Ogooué ne pouvait être qu’un point de départ. La lecture de ses écrits m’a convaincu qu’une profonde réflexion accompagnait ce qui pouvait apparaître comme une révélation mystique. Agathe et Marius ont l’âge où « quand la réflexion s’éveille, les questions surgissent, transformant en problème ce qui nous avait semblé auparavant une évidence. Quel sens donneras-tu à ta vie ? » L’homme récompensé par un Prix Nobel de la Paix aimait les histoires simples. Je veux lui être fidèle et faire comprendre à mes petits-enfants que les mots qui viennent du cœur sont profonds. Il en est ainsi des paroles populaires prononcées lorsqu’un malheur ampute notre raison d’être : « Oui, mais la vie continue ». Quelle est la sagesse cachée derrière cet adage ? Cette injonction à poursuivre le chemin est une réponse à une préoccupation originelle. Au-delà des significations que nous tentons de donner aux instants présents, il existe un sens à la vie qui lui est propre.
Les philosophies, les religions, les discours politiques ont proposé des réponses. Elles se sont affrontées, se sont neutralisées pour déboucher sur la non-signification : plus rien n’a de sens. La démonstration par l’absurde est faite, confirmant l’affirmation d’Albert Schweitzer : « Ce n’est pas par une connaissance, mais par une expérience du monde, que nous arrivons à une relation avec lui. »
Dans notre monde énigmatique qui est horreur et splendeur, joie et douleur, il fait le constat que notre vie et notre volonté de vivre constituent un fait élémentaire que nous ne pouvons nier : « Nous sommes vie qui veut vivre. » Le sens de la vie n’est pas à chercher dans une connaissance, il est dans la vie. N’ayons pas la prétention de donner un sens à ce qui nous constitue. Contentons-nous de donner un sens aux objets que nous avons créés.
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Les paragraphes suivants qui ne sont pas présentés ici évoquent comment la science a confirmé cette phrase sublime de simplicité et de profondeur énoncée par Albert Schweitzer
» « Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre »
Alors mes petits-enfants découvrent l’éthique du Respect de la Vie, sa place dans la pensée et dans notre existence
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À ce stade mes petits-enfants me proposent d’interroger les contradictions dans l’éthique du Respect de la Vie. Albert Schweitzer a privilégié une relation « élémentaire » avec le monde et la vie, ce qui lui permet d’énoncer que : « Entretenir une vie exige souvent d’en abîmer une autre. » Il appelle l’humain à la responsabilité et souhaite qu’il s’interroge en permanence sur la nécessité de la prédation. Elle est une réalité anthropologique mais désormais, au vingt-et-unième siècle, pour vivre en conformité avec la civilisation qu’il a enfantée, l’humain est devenu un ultra-prédateur. Son mode de vie, sa consommation effrénée et sa volonté de domination de l’univers ont amené la vie à être prédatrice de la vie. L’ultra-prédation révèle une ultra-complexité. Pour mes petits-enfants et leur génération, comment ne pas se plier à la marche forcenée de l’histoire contre la vie ? Comment éviter que l’ultra-complexité ne devienne la complexité ultime ?
Agathe, Marius et leurs camarades sont devant ce choix : se soumettre ou dire non. Refuser mais ne pas renoncer, c’est ainsi que Camus a défini la révolte. Ils pourront dire non à l’ultra-prédation mais, pour ne pas renoncer, dire oui au Respect de la Vie. Ainsi, leur révolte aura une dimension universelle et œcuménique. Avec l’auteur de « L’homme révolté », ils pourront affirmer : « Je me révolte donc nous sommes. » Ce désir d’un monde plus aimable permettra-t-il à la vie de nourrir la vie ? Albert Schweitzer les encouragerait, car : « Un idéal est pour nous ce que les étoiles sont pour un marin, il ne les atteint jamais mais elles servent de guide. »