L’humain s’étiole
Précédemment, notre regard sur le monde d’aujourd’hui a abouti à une inquiétante conclusion : le renoncement à la pensée autonome est la faillite de la conscience d’être et le préambule à un esclavage sournois. Si l’individu renonce à penser et si la société lui propose de le faire à sa place, l’humain perd la confiance en soi. Ce phénomène est accentué d’une part par le prodigieux développement des connaissances : souvent il les accepte comme quelque chose d’incompréhensible qui s’impose à lui. Enfin, la complexification du monde physique mais aussi celle de la pensée le décourage et consolide son renoncement à penser. Son scepticisme le rend très fragile, il trouve refuge dans le matérialisme et oublie sa dimension spirituelle, immatérielle. Il se perd dans un monde où le sens est absent, voire nié. L’Homme ne cherche plus de sens au monde et à sa vie.
Désormais, pour celui qui possède,
la vie est une errance qu’il veut joyeuse ;
pour la majorité des « exclus »,
la vie est lutte pour rejoindre ceux qui possèdent.
Et la philosophie…
Par le passé, les philosophes et les religions* ont proposé des conceptions du monde et de la vie multiples et variées qui ont tenté de donner un sens à la vie en privilégiant tantôt la nature* ou l’humain, tantôt l’esprit ou la matière, tantôt l’action ou la contemplation, tantôt l’exaltation d’un sens mystique ou la négation de tout sens…
Le sens de la vie
Les généticiens ont découvert que le hasard* et les contraintes ont fait évoluer des molécules en cellules, certaines cellules en organismes multicellulaires puis en espèces vivantes (végétales ou animales), l’humain en est un exemplaire parmi d’autres. Nulle part n’était écrit un objectif à atteindre. La vie est un système qui n’a pas été finalisé par une force ou une puissance surnaturelle : la vie n’a pas de finalité exogène. La finalité et le sens de la vie sont en elle, ce qu’Albert Camus traduisait par « Le sens de la vie supprimé, il reste encore la vie ». Si le sens de la vie n’est pas à chercher à l’extérieur, il est dans la vie.
Vivre, c’est reconnaître notre volonté de vivre.
Dans notre monde énigmatique qui est horreur et splendeur, joie et douleur, notre vie et notre volonté de vivre constituent un fait élémentaire que nous ne pouvons nier : c’est notre détermination à vivre : nous sommes vie qui veut vivre. Notre expérience de la vie nous amène à compléter cette affirmation, car nous découvrons derrière et dans toutes les réalités, dans tous les phénomènes que nous observons des volontés de vivre semblables à la nôtre.
Albert Schweitzer (prix Nobel de la Paix) traduit ce constat dans une phrase que je trouve sublime de simplicité et de profondeur :
« je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre ».
Cette implacable réalité lui permettra de proposer un regard sur le monde (Weltanschauung*) dans lequel
le sens premier et profond de la vie est le respect de la vie sous toutes ses formes.
Le concept de respect de la vie a parfois été présenté comme la simple traduction du précepte religieux ou philosophique « tu ne tueras point », il n’est alors vu que comme une affirmation négative fortement réductrice. Or, une conception du monde fondée sur le respect de la vie a une tout autre dimension, positive et dynamique, tant dans l’action* que dans la pensée.
Elle propose de toujours privilégier ce qui crée et entretient la vie ; le respect de la vie s’inscrit alors dans tout comportement, toute action*, tout engagement, toute politique, toute lutte ; elle impose de toujours examiner la balance « consolidation de la vie/consommation de vies ».
Cette conception du monde est aussi le substrat d’une pensée ; le respect de la vie est alors la pierre angulaire de toute réflexion, tout discours, tout concept, tout rêve, toute vérité. C’est par une pensée vivante, au contact du monde réel, que tu pourras décliner cette conception du monde et de la vie dans les différentes situations que tu rencontreras. Le respect de la vie t’apprendra à acquérir la confiance en toi, à trouver ton propre chemin, à t’ouvrir à toutes les autres vies.