L’Homme est-il encore Sapiens ?

Depuis le milieu du 18e siècle, le bipède que nous sommes est désigné « HOMO SAPIENS ». Le qualificatif utilisé signifie « intelligent, sage, raisonnable, prudent » ; les réalités observées aujourd’hui peuvent nous faire douter de la pertinence de ce choix.

L’Humain appartient à deux univers

Depuis près de 40 000 ans, l’Humain appartient à deux univers : le règne animal, la biosphère et l’univers des idées, la noosphère.

Ce dualisme est né le jour où l’un de nos lointains ancêtres a été capable d’exprimer, non seulement une expérience concrète immédiate, mais aussi une projection subjective, une simulation personnelle que nous appelons « idée ». Le processus qui vient de voir le jour, la pensée, interconnecte des informations en provenance d’expériences vécues par l’individu mais aussi celles que nos gènes ont sélectionnées au cours de milliards d’années.

Certes, le cerveau joue un rôle fondamental dans ce processus, mais il n’est pas une simple mécanique rationnelle qui conduirait à être « intelligent, sage, raisonnable, prudent. » Il est même à l’origine des contradictions et des déchirements qui font de l’Humain un « animal non pas absurde, mais étrange » (Jacques Monod).
Quels sont les facteurs qui l’ont éloigné de la sagesse philosophique ?

La promesse des Lumières

Les progrès annoncés par ce courant de pensée étaient enthousiasmants : pour tous les Humains, ils concernaient tant leur condition matérielle (plus de bien-être), que sociale (plus d’égalité), que spirituelle (la liberté de pensée). 

Les progrès matériels ont certes été impressionnants et ont amélioré la condition humaine mais ils ont aussi des conséquences parfois fâcheuses voire désastreuses. Le progrès social a été remarquable dans le monde occidental, mais il reste des “laissés-pour-compte” et surtout il s’est réalisé au détriment d’une grande partie des habitants de la planète et de la planète elle-même.

Avec les prodigieux développements des connaissances et des techniques l’Humain se voit tout-puissant, ce qui l’éloigne de la sagesse. Il est persuadé que l’on va vers un “toujours mieux”, il peut se laisser vivre et se dispense de penser. C’est là l’une des principales causes de son désarroi actuel.

Le renoncement à penser induit par l’idée d’un progrès continu et généralisé est le premier acte de la faillite de la pensée.

L’illusion bourgeoise

Homo Sapiens est devenu ‘Humain’ à partir du moment où il a engendré une culture, son évolution va alors cesser d’être biologique, pour ne plus devenir que culturelle.

L’incontestable progrès matériel et la perspective de sa permanence ont fait émerger des valeurs qui seront d’autant moins contestées que l’Humain s’est dispensé de penser. Ce qu’il désire avant tout, c’est le bien-être matériel.  La sacralisation de la consommation et de la propriété, la crainte de perdre ce que l’on a, la priorité à la préservation de ce qui est au détriment de ce qui pourrait être, du rêve et de l’aventure ont construit une culture matérialiste.

Ce matérialisme s’est généralisé à une grande partie de la société, cette culture, que je qualifie de bourgeoise, a marginalisé voire gommé toutes les autres cultures (ouvrière, rurale, intellectuelle …) qui faisaient la richesse d’une société.

Un esclavage sournois

Le renoncement à une pensée autonome et le poids de la culture bourgeoise entrainent le délitement de la conscience d’être. Il est le préambule à un esclavage sournois.

La sagesse de l’Homo Sapiens ne l’a pas protégé ; son intelligence ne lui a pas permis de maîtriser la passion, la rationalité économique, le jeu, les mythes.

L’Humain est désormais l’esclave d’un monde où la vie de celui qui possède est une errance qu’il veut joyeuse et celle de la majorité des « exclus”, une lutte pour rejoindre ceux qui possèdent.
L’Humain n’est pas Sapiens, il est étrange, il est absurde pour ceux qui veulent le mettre en équation ; il ne l’est pas pour ceux qui acceptent sa complexité.
Il est HOMO COMPLEXUS construit par les interconnexions de la raison, de la passion, de la rationalité économique, du jeu, de l’art, des sentiments, des mythes … Pour le comprendre il faut accepter cette complexité et refuser la simplification qui voudrait le rendre calculable.

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