2. Regard sur le monde d’aujourd’hui

FOCUS
L’Homme a appris au cours des siècles que les idéaux partagés et mis en pratique par les masses peuvent triompher des circonstances et apporter des progrès. La pensée du siècle des Lumières avait de la noblesse, de l’enthousiasme, de la générosité.
Mais des effets pervers apparaissent : la croyance en un progrès généralisé et permanent conduit à renoncement à penser. Ce phénomène a été aggravé par le fait que la société toute entière partage une même culture matérialiste.
Le renoncement à la pensée autonome entraine le délitement de la conscience d’être et est le préambule à un esclavage sournois qui menace aujourd’hui nos sociétés. La pratique d’une pensée vivante est le rempart contre les totalitarismes idéologiques, religieux et politiques à condition qu’elle ne soit pas le privilège exclusif d’une élite, mais la pratique de tous.
Souviens-toi que la vie est née de l’union de molécules au sein d’une cellule grâce à l’interaction ; il en est de même pour ta pensée qui ne sera vivante que dans l‘interaction avec d’autres pensées. 
Voir la vidéo

Le regard que je propose va dans trois directions qui éclairent la crise de la pensée, facteur déterminant dans le désarroi actuel de l’Humain.

Regard sur le progrès

Je t’invite à un premier regard sur le monde d’aujourd’hui, avec ce qui a été une promesse au cours des derniers siècles : le progrès. Ce sont les idées des philosophes des Lumières qui ont impulsé et accompagné les progrès dans la civilisation occidentale depuis le 18ème siècle.

Leur formidable impact est lié au fait que les philosophes avaient réussi à les partager largement avec une grande partie de la société. Les progrès annoncés par ce courant de pensée étaient enthousiasmants, pour tous les Humains, le progrès pressenti concernait tant leur condition matérielle (plus de bien-être), que sociale (plus d’égalité), que spirituelle (la liberté de pensée). 

Les philosophes des Lumières avaient épousé la vision chrétienne d’un monde qui se déroule à partir d’une origine vers une fin, la finalité en était le progrès généralisé. La croyance en un progrès éternel s’est installée et est encore présente aujourd’hui, alors que les faits démentent ce scénario. Les progrès matériels sont certes impressionnants et ont amélioré la condition humaine mais ils ont aussi des conséquences parfois fâcheuses voire désastreuses. Le progrès social a été remarquable dans le monde occidental, mais il reste des “laissés-pour-compte” et surtout il s’est réalisé au détriment d’une grande partie des habitants de la planète et de la planète elle-même.

L’idéal du progrès généralisé était construit de manière rationnelle et devait conduire l’individu vers la plénitude de sa dignité d’homme ; les progrès de la pensée devaient accompagner le progrès matériel. Paradoxalement les prodigieux développements des connaissances et des techniques vont conduire à un renoncement de l’esprit. Souviens-toi que dans l’évolution des espèces vivantes, c’est sous l’effet des contraintes que la faculté de penser s’est développée. Lorsqu’on est persuadé que l’on va vers un “toujours mieux” on se dispense de penser, on peut se laisser vivre et seul compte encore le progrès matériel. C’est là l’une des principales causes de notre désarroi actuel.

L’actuel renoncement à penser conduit à un autre travers dans notre société, le progressisme. Il suffit de dire que c’est nouveau pour en conclure que c’est un progrès, comme par exemple le remplacement de l’IPhone x par l’IPhone x+1.

Ce renoncement à penser induit par l’idée d’un progrès continu et généralisé est le premier acte de la faillite de la pensée. 

Regard sur la culture

Le sens courant de ce mot désigne souvent les seules représentations artistiques qui mettent en exergue ou contestent la culture dans sa globalité. C’est quoi, la culture ? C’était il y a 40000 ans, la conscience d’être de nos lointains ancêtres leur a permis d’accéder à des valeurs partagées et transmises au sein d’une société, c’est ce que l’on nomme une culture. Homo sapiens est devenu ‘Humain’ à partir du moment où il a engendré une culture, son évolution comportementale va cesser d’être uniquement biologique, pour devenir aussi culturelle.

Dans une même société on peut repérer plusieurs cultures, mais il y a souvent une culture “dominante” qui caractérise une civilisation. Mon regard se porte donc sur les valeurs qui, aujourd’hui, sont partagées par un grand nombre dans notre société.

L’incontestable progrès matériel et la perspective de sa permanence ont fait émerger des valeurs qui seront d’autant moins contestées que nous nous sommes dispensés de penser. Ce que l’on désire avant tout, c’est le bien-être matériel. Les valeurs qui émergent alors sont :

  • la sacralisation de la propriété et de la consommation qui détermine le rapport de l’Homme aux objets mais aussi aux autres Hommes,
  • la crainte de perdre ce que l’on a, d’où un sentiment de peur généralisée et une recherche maladive de la sécurité,
  • la priorité à la préservation de ce qui est au détriment de ce qui pourrait être, du rêve et de l’aventure ; l’attitude défensive qui en découle bloque la réflexion ouverte et le dialogue.

Le progrès visé n’est plus celui de la condition humaine mais celui du pouvoir de posséder, de consommer. Cette forme de matérialisme s’est généralisée à une grande partie de la société, les autres cultures existantes ont été marginalisées voire gommées, c’est la cas de la culture rurale, de la culture ouvrière. L’absence de pluralité culturelle a conduit à une domination écrasante de ce que j’appelle la culture bourgeoise. Deux caractéristiques essentielles de la vie sont désormais absentes : l’interaction et l’ouverture, il nous faut les retrouver, faute d’aggraver la faillite de l’esprit. 

Regard sur la pensée

Le regard sur le progrès et celui sur la culture ont abouti à la même conclusion, la crise actuelle de notre civilisation est avant tout celle de la pensée. Le terme de “misère intellectuelle” est alors souvent utilisé, je préfère celui de “misère de la pensée” car ce problème est totalement indépendant de ce qu’on appelle couramment l’intelligence.

Pourquoi le fait de penser me semble essentiel ?
La liberté est à ce prix. En effet la société nous propose des convictions, voire des certitudes toutes prêtes à être consommées. L’objectif est souvent de nous rendre docile pour nous emmener dans des chemins tout tracés au service d’une minorité ou d’une organisation souvent politique ou religieuse. Pour éviter cet esclavage des temps modernes, il est indispensable de cultiver ta faculté de penser de manière autonome.

Qu’est-ce que penser ?
Les neurosciences ont montré que la pensée consciente se manifeste par un embrasement généralisé au niveau du cerveau ; c’est la faculté d’interconnecter différentes zones cérébrales qui caractérise physiologiquement la pensée. Par analogie, ce n’est pas avec une idée que la pensée progresse ; c’est en la connectant à d’autres idées proches, éloignées ou même opposées que la pensée se développe. Pour avoir plus d’opportunités dans ce processus, il faut rester ouvert aux autres, surtout aux autres différents de toi, cultiver ta curiosité. Il faut laisser libre cours à l’intuition, à l’imagination qui paradoxalement sont souvent bridées par les savoirs. Enfin, ce qui me semble être un impératif, la pensée ne doit jamais se déléguer, il ne faut jamais accepter que d’autres pensent pour toi

Vidéo « Regard sur la Monde et la Vie »

Éveiller ta curiosité 
Jette un regard curieux sur la contradiction entre d’une part l’individualisme forcené dans lequel plongent aujourd’hui les humains et d’autre part leur empressement à se conformer aux modes et autres moules proposés par la société. L’individualisme conduit l’humain à ignorer la société, voire même à ignorer son voisin, il se coupe délibérément de son environnement. En même temps pour fuir la solitude pesante qui le guette, il cherche à se fondre dans un groupe avec lequel il partage une apparence (la mode) ou des idées simples et monolithiques (réseaux sociaux). La conscience d’être parmi d’autres consciences d’être a permis de faire évoluer le troupeau en société ; sommes nous en train de faire la démarche inverse ? 
Comme tous les humains, tu cherches la reconnaissance des autres, tu veux exister dans leur regard, faut-il pour cela te conformer à leur vision. Faut-il rentrer dans le troupeau qui va là où le berger a décidé de l’emmener. N’est-il pas possible de te forger tes propres points de vue et de les afficher ; tes ami(e)s ne te reconnaîtront-ils pas mieux et les échanges que tu auras avec eux ne seront-ils pas plus enrichissant ?